Bonsoir à tous,
Georges SANGIER, historien originaire de Blangerval, nous donnes dans un de ses ouvrages admirablement documenté, un bon historique des faux mariages dans tous le département du Pas de Calais. On verra qu'aucune région du département n'en fut atteinte
Bonne lecture, et bonne soirée à tous,
Extrait de « la désertion dans le Pas de Calais de 1792 à 1802 », Georges SANGNIER, 1965.
LES FAUX MARIAGES
La suppression des municipalités communales et leur remplacement par les municipalités cantonales avaient exigé, dès frimaire an 4, que celles ci fussent dorénavant en possession de tous les registres d'état civil et des registres de catholicité d'avant 1792. Le Département l'avait rappelé dans un arrêté du 15 prairial an 4.
Or un nombre assez important d'anciennes municipalités communales n'avaient pas prétendu s'en déposséder. Malgré les rappels réitérés des administrations de canton et de l'administration centrale, elles avaient fait la sourde oreille et opposé la force d'inertie quand ce n'était pas une résistance déclarée comme à Cléty, du canton die Thérouanne, où près de cinquante citoyens signaient le 2 frimaire an 5 un refus de remettre à l'agent local ces fameux registres, prétextant que les actes ayant été rédigés en double l'un des exemplaires devait rester dans la commune « Au cas [de] besoins et se seroit métre les habitants de la ditte commune dans de grandes embaras pour biens des choses »
Ils oubliaient qu'ils n'avaient plus qualité pour les conserver. Des menaces de poursuites devant les tribunaux faites quinze mois plus tard, le 15 ventôse an 6, n'ont pas eu plus de succès auprès des habitants de Cléty ; le commissaire du Département, le 19 messidor an 7, constate que de nombreux registres d'état civil de 1791 à l'an 6, de onze communes du canton de Thérouanne, ne lui ont pas encore été envoyés.
De même dans le canton de Tournehem l'administration se plaint de la retenue des registres de mariages faite par l'ancienne municipalité :
« ... dans diverses communes on a profité de ce que les registres de mariages n'avoient pas été rapportés à l'administration du canton pour y rapporter des actes comme faits antérieurement quoiqu'ils n'avent été véritablement portés sur lesdits registres que depuis très peu de tems »
Ces refus apparemment étranges sont en réalité à la base d'un des moyens d'éluder les obligations de la loi du 19 fructidor sur la conscription. En effet, à moins d'être vraiment malade ou affligé de malformations rendant impossibles son incorporation, le conscrit célibataire ne peut pratiquement y échapper que par un mariage soi disant conclu avant le 1 germinal an 6 (1), mais frauduleux.
(1) La loi du 23 août 1793 n'avait pas fixé de date après laquelle le mariage n'était plus un cas d'exemption pour le service armé ; normalement il l'était jusqu'à la promulgation de la loi. Aussi un mariage conclu à Beaumetz le let septembre 1793 à cinq heures du matin, avant la publication officielle de la loi qui n'a eu lieu qu'à onze heures, a pu faire exempter le jeune mari. Le rigide Coffin consulté en nivôse an 4 n'a pu qu'estimer licite ce mariage. Mais ne peut on soupçonner de complaisance un peu excessive.
Par suite du nombre de demandes en mariage précipitées, il se produira dans certaines parties du département et sous l'empire de la nécessité une véritable épidémie d'unions de caractère quelque peu tératologique : on verra des jouvenceaux, désireux d'échapper rapidement et coûte que coûte à l'enrôlement mais n'ayant pas toujours le choix facile, ne pas craindre de s'unir à des femmes de 50, 60 et même 90 ans, pour la forme il est vrai. Mais ces mariages conclus sans formalités publiques ne pouvant faire exempter leurs titulaires que s'ils sont antérieurs au 23 nivôse de l'an 6, exigent une manipulation occulte des registres d'état civil dont beaucoup d'anciens édiles ont su prévoir l'éventualité, mais qui aurait été rendue difficile par le rassemblement de ces documents au chef lieu de canton comme le voulait la Constitution de l'an 3.
Dès l'hiver de l'an 7, le commissaire du Département a vent de certaines fraudes :
« Je suis informé, dit il dans une circulaire du 23 pluviôse adressée aux commissaires près les cantons, que plusieurs officiers de l'état civil ont la complaisance coupable d'altérer les actes de naissance et de mariage de quelques réquisitionnaires et conscrits pour les soustraire aux loix qui les appellent aux armées... Vous vous ferez représenter les registres aux actes civils de votre arrondissement et vous les compulserez avec soin. Si vous y découvrez la moindre altération vous m'en informerez et vous m'en signalerez les auteurs afin que je puisse provoquer les mesures nécessaires pour les faire punir »
En floréal an 7, de son côté, le commissaire du Directoire auprès du tribunal correctionnel de Boulogne fait quelques découvertes révélant les précautions prises par certaines anciennes municipalités. Le registre des actes de mariages de Questrecques comporte huit feuillets, dont cinq ont été grattés et surchargés ; des dates de mariage ont été modifiées, des domiciles de contractants sont faux. Au village voisin de Wirwignes, où quatorze feuillets composent le registre de mariages, les cotes de huit feuillets ont été grattées et surchargées, « sans doute pour avoir la facilité d'y intercaler les trois actes de réquisitionnaires des 15, 19 et 25 ventôse avant celui du 24 prairial an 6 ». A Rinxent, une expédition d'acte de mariage de Jean Baptiste Damiens avec Marie Catherine Magnier du 7 thermidor an 5 est suivie de deux pages blanches.
Même chose à Marquise : après le 25 floréal an 5, trois lignes de la troisième page et la quatrième page sont vierges le verso du onzième feuillet et le douzième feuillet sont blancs le verso du trente troisième au trente sixième feuillet et le quarantième le sont également, permettant d'y consigner éventuellement des faux actes. Le feuillet cinquante cinq suit le cinquantième, rendant possible l'intercalation de deux feuillets. Les surcharges sont nombreuses ; en différents endroits les chiffres sont couverts d'encre et ne peuvent être identifiés.
A Hocquinghem, après la mention du mariage de Jean François Heude et de Thérèse Angélique Gauthier du 9 pluviôse an 4, deux pages sont blanches. Le 20 pluviôse, le mariage de Sylvain Verlingue et de Claudine Mar... (Illisible) est rédigé sur une demi feuille de 0,25 timbrée en noir.
Ces précautions de ménager des parties blanches dans les registres de mariages ont vraisemblablement commencé après la loi du 23 août 1793 qui inaugurait le principe de l'exemption du service armé des gens mariés, et ont donné l'éveil.
Les pages blanches en totalité ou en partie facilitent l'intercalation de faux actes. Si l'on introduit des actes nouveaux et que l'on doive modifier la cote des feuillets, ou bien si un acte régulier demande à être antidaté, alors les grattages, les maquillages, au besoin la bouteille d'encre renversée deviennent nécessaires. Tous ces procédés plus ou moins grossiers ont été employés dans le but de faire exempter de nombreux conscrits de l'an 7 (2) et suivants, cela à peu près exclusivement dans la région côtière et la région audomaroise. Nous en citons quelques cas concrets dans les pages qui suivent.
(2) Faux actes de naissance pour rajeunir ou pour vieillir, selon l'occasion, des jeunes gens désireux de ne pas servir, faux actes de mariage pour leur procurer le plus facile et le plus répandu des motifs d'exemption, faux certificats d'infirmités, prodigués alors une fréquence extrême, même faux actes de décès...)
RÉGION DE BOULOGNE.
On a vu les précautions de certaines municipalités signalées par le commissaire du directoire auprès du tribunal correctionnel de Boulogne, qui ont certainement donné lieu à des poursuites ; le général de brigade Ferrand, commandant par intérim les lr" et 16e divisions militaires, de son côté, écrira dans une circulaire du 18 fructidor an 8 :
« Il est notoire que des agens ... ont vendu des actes antérieurs aux époques précitées à des réquisitionnaires et conscrits qui n'ont pas contracté mariage, et qu'ils ont trouvé les moyens de placer ces faux dans leurs registres ». Henneveux est un canton où l'on utilise en grand ce genre, de faux :
« Il y a, dans le canton d'Henneveux, vingt cinq réquisition¬naires ou conscrits qui ont fourni des actes où figurent, comme épouses, des femmes dont la plus jeune a soixante six ans et dont une est âgée de quatre vingt dix ans »
La municipalité de Neuville est soupçonnée par l'adminis¬tration centrale de marier complaisamment les déserteurs, particulièrement ceux de Montcavrel. La municipalité proteste de sa loyauté.
Canton de Condette.
Gueudré, maire provisoire de Condette, « a commis des faux dans la rédaction des actes de l'état civil ; il est suspendu de ses fonctions par le sous préfet de Boulogne le 8 thermidor an 8. Le même sous préfet, s'adressant au préfet quelques mois plus tard, parle de « quelques centaines de faux extraits de mariage ». Celui de Berly est sans doute du nombre. Trois actes de mariage de la commune d'Ergny, dans le canton d'Hucqueliers sont déclarés suspects
RÉGION DE MONTREUIL.
Certains agents du canton de Fressin sont compromis eux aussi dans des affaires analogues, où des réquisitionnaires ont été mariés par eux et dont les actes ont été antidatés.
Louis Marie Mailly, de Sempy, prétend s'être marié à Saint ¬Deneux le 22 fructidor an 5. Or, l'agent de Sempy et tous les habitants de ce village ont ignoré cette union jusqu'au moment où, ayant été porté au tableau des conscrits de première classe, Mailly a déclaré avoir épousé Marie Austreberthe Delaporte, de Saint Deneux ; celle ci ne vit pas chez lui, « ce qui fait estimer que ce n'est qu'un mariage de circonstance ». D'ailleurs, la prétendue expédition de l'acte ne porte ni date, ni mention de domicile de Mailly, ni noms de témoins.
L'administration de Fauquembergues, en floréal an 7, trans¬met à celle de Fressin un acte de mariage de l'an 5 de Jacques Etienne Vidor, réquisitionnaire de Thiembronne, « acte dont on soupçonne la sincérité ». Le mariage est supposé avoir eu lieu à Torcy, où pourtant aucun acte de mariage n'est mentionné dans les registres de cette commune cette année là. Les trois signatures qui authentifient cet acte sont fausses.
L'ex agent de Marant Danjou, est accusé de faux et arrêté, mais il n'a pas le temps d'être jugé car il décède dans la maison de justice de Saint Omer en germinal an 10.
Canton de Campagne. Charles Antoine Danel, de Beaurainville, ex président de l'administration municipale de Campagne, est auteur de faux en écritures publiques et authentiques « afin de sauver de la réquisition ou de la conscription des jeunes gens qui en étoient atteints » ; il s'est dessaisi des registres aux actes de mariage de Buire le Sec, les remettant entre les mains de Louis Lecointe fils, ministre du culte de Buire. Celui ci est prévenu d'être « auteur de faux en écritures publiques et authentiques en fabricant plusieurs actes de publication et actes de mariage et les antidatant pour leur donner une date utile à fin de dispenser... etc ; et en faisant la signature des citoyens qu'on supposeroit avoir assisté comme témoins... le tout sur les registres de Buire Ie Sec »
Le mariage de Pierre Antoine Leborgne et de Marie Thérèse Dubois a ainsi été antidaté pour exempter Leborgne. Jean Louis Briois, 70 ans, ex agent de Buire, est prévenu de complicité : il a intercalé des feuilles dans les registres. Six parents ou témoins ont signé les actes, que Pierre Antoine Varlet, ex agent de Buire, a faits et insérés dans les registres. Le jury d'accusation du tribunal criminel déclare « qu'il y a lieu » contre Varlet, Lecointe, Leborgne, Briois, qui sont écroués ; les autres sont renvoyés de l'accusation.
Jacques Honoré Dupont, ex agent et cultivateur à Roussent, est accusé de faux en écritures publiques et authentiques. Sont compromis Louis Hautquier ex agent de Roussent, auteur du faux, Pierre Ferdinand Danel, ex secrétaire de l'administration de Campagne, Charles Danel, ex président, ces deux derniers de Beaurainville, et cinq comparses. Il s'agit de l'exemption de deux réquisitionnaires.
RÉGION DE SAINT OMER.Canton de Tournehem.
Un conscrit d'Hardinghen, Pierre ¬François Caboche, produit un extrait de mariage de Bouvelinghem, pour être rayé de la liste des conscrits. Mais « il est de notoriété publique que ce mariage est faux et fait clandestinement ». Caboche, soi disant marié depuis plusieurs années, semble ne s'être préoccupé de faire valoir son état de marié que tout récemment, alors qu'il se savait de l'âge de la conscription.
« Il est de notoriété que l'acte de mariage de Louis Joseph Delcroix, de Northécourt, conclu à Disques... est abusif, puisqu'il est constant qu'il n'est marié que depuis cinq mois au plus ».
Son « acte de mariage... et l'extrait de naissance d'un enfant du sexe féminin née le 16 nivôse, sont faux. Decroix déclare avoir été remplacé et promet de produire prochainement l'extrait mortuaire de ce remplaçant ». Sera ce une nouvelle pièce falsifiée ? Clipet, fils de l'adjoint de Rebecques, est convaincu d'être marié frauduleusement. Dix garnisaires sont placés chez son père jusqu'à obéissance. Antoine Joseph Douilly, de Recques, demande, un passeport (qui, ne pouvant être délivré régulièrement à un conscrit, prouverait sa qualité d'exempté) ; mais son acte de mariage, daté du 18 fructidor an 5, est reconnu faux. Douilly devra se rendre à Arras pour servir dans l'armée.
L'acte de mariage de Jean François Delmotte, réquisitionnaire de Rebergues, est des plus suspects. Delmotte se dit marié avant le 1 germinal an 6, avoir été capitaine de la garde nationale de sa commune ; mais :
« Vu l'acte de mariage de l'exposant rédigé dans la commune de Rebergues le 21 brumaire an 6 avec une femme de quatre vingt dix ans ; vu le certificat négatif de l'agent municipal de la commune de Rebergues... qu'il n'existe point dans sa commune de registre aux publications de mariage des années 3, 4, 5 et 6 ainsi que le confirme la déclaration du citoyen Delmotte, frère de l'exposant, agent municipal de la commune en l'an 6 ; considérant qu'il est de notoriété publique que le citoyen Delmotte ne fait valoir son acte de mariage que depuis le commencement de l'an 7 époque de la rédaction dudit acte quoique daté du 21 brumaire an 6, considérant que ledit Delmotte ne vit pas avec sa femme âgée de quatre vingt dix ans, même éloigné d'une distance de trois quarts de lieue d'un domicile à l'autre, que l'amour de sa fortune n'auroit pas dû le déterminer à épouser une femme d'un si grand âge puisqu'il est vrai que sa fortune est très modique ; considérant que [sa nomination de capitaine de la garde nationale de sa commune est fausse] ; considérant qu'il n'a contracté mariage que pour se soustraire du poste honorable où la loi l'appelle, arrête... qu'elle regarde comme frauduleux le mariage dudit François Joseph Delmotte ».
A la même époque il y a encore « dans le canton plusieurs conscrits et réquisitionnaires qui, à l'aide de mariage frauduleusement antidaté, espèrent échapper à la loi ».
Les garnisaires placés chez eux ne seront enlevés qu'après justification de la légitimité de leur mariage.
Canton de Wismes. « La notoriété publique accuse de faux les actes de mariage » de plusieurs réquisitionnaires. « La force armée sera logée et nourrie indistinctement chez les parens des recéleurs de tous les réquisitionnaires et conscrits qui n'auront pas justifié de leur présence à un corps quelconque ».
Huit réquisitionnaires et conscrits, de Wavrans, deux de Wismes déposent des actes de mariage antérieurs au 1 germinal an 6 et demandent le retrait de la force armée du domicile de leurs parents. Mais la notoriété publique « déclare contre ces actes et les accuse de faux... Ils seront envoyés à l'administration centrale », qui les considérera comme faux. Dénonciation à la justice de paix.
Le commissaire déclare en brumaire :
« le dix huit brumaire an 8 à quatre heures après midy, un homme a été trouver Jean-François Minet et lui a proposé de marier sa mère morte le 4 vendémiaire dernier à un homme appartenant aux armées de la République... [Minet] pénétré d'horreur a rejetté la proposition, quoiqu'on l'eût assuré qu'il n'y avoit aucun inconvénient à craindre pour la succession de sa mère du mariage proposé qu'on lui passeroit pour le tranquilliser tel acte qu'il exigeroit lui observant que l'on étoit peu embarrassé des registres aux décès de la commune de Wismes ».
« Le 18 vendémiaire, ajoute le commissaire, un autre homme de Saint Pierre est venu assurer au citoyen Pasquier, secrétaire de l'administration, un profit de 5 000 francs s'il vouloit faire la remise des registres de l'an 2 et de l'an 3 de la commune de Wismes, affin de contracter divers actes de mariage en faveur d'hommes appartenant aux armées ; il a rejetté pareillement cette indigne proposition »
L'ex agent Vieillard est soupçonné d'avoir fabriqué le faux mariage de Jacques Louis Huchette, conscrit de Wismes. Desanglot, agent de Fauquembergues, accuse l'ex secrétaire provisoire du canton Dubois d'avoir délivré un extrait de baptême au citoyen Nicolas Joseph Warenghem, né à Renty, daté du 29 janvier 1768 alors que d'après le registre il est né un an plus tard. Dubois ne nie pas ; il explique naïvement que cette délivrance n'a été faite que pour soustraire Warenghem à la conscription... Il n'y a eu aucun acte de publication de mariage des citoyens Boidart et Level, réquisitionnaires de Lottinghem, qui n'ont jamais jamais résidé à Bléquin alors que les actes les qualifient domiciliés en cette commune et que l'administration de Desvres sait que ces jeunes gens et leurs épouses ont constamment résidé dans ce canton. Depuis pluviôse et ventôse derniers l'opinion publique n'a cessé de signaler ces mariages comme faux et clandestins et d'en accuser leur rédacteur Vieillard. Celui ci a été poursuivi par les ordres du directoire devant les tribunaux qui, « à leur honte », l'ont remis en liberté. L'administration de Wismes déclare « solennellement et formellement qu'elle n'a point cessé un seul instant et qu'elle ne cessera pas de regarder ces jeunes gens comme faisant partie de l'armée active ».
Trois actes de mariage : le premier, de Jacques Joseph Playoult, de Wavrans, marié avec la citoyenne Marie Françoise Humez, « jeune fille âgée de quarante sept ans », domiciliée à Wavrans, par certificat de publication de promesse de mariage, signé de Marc Hubert alors agent municipal de Wavrans, en date du 15 prairial ; le deuxième, de Deseille, marié avec la citoyenne Marie Françoise Cadet, veuve Waringhem, « âgée de soixante cinq ans », domiciliée à Wismes, même certificat ; le troisième, d'Augustin Joseph Ritaine, de Wismes, marié avec Rosalie Cadet, 17 ans. Or, le surlendemain 19 floréal, Marc Hubert, maire provisoire de Wavrans, refuse de signer le procès verbal du 16, car, déclare t il, il n'a pas publié le mariage de Playoult.
Canton de Seninghem. Les registres de Bouvelinghem doivent être vérifiés à cause d'une dénonciation de mariage anti¬daté, faite par un citoyen de Bayenghem le 9 messidor an 7. L'administration de Tournehem déclarera d'ailleurs quelques mois plus tard que « tous les mariages contractés tant à Bouvelinghem que dans le reste du canton de Seninghem sont notoirement faux et abusifs » (34) ; et le général Ferrand remarquera que sur dix actes de mariages passés devant l'officier publie de Westbécourt qui allient des jeunes gens à des femmes deux ou trois fois plus âgées qu'eux, il y en a cinq qui se suivent de si près qu'en trente jours ont a du voir, dans cette Commune, cinq mariages de cette nouvelle espèce.
A Westbécourt plusieurs actes de mariage, dont celui de Cazin, sont reconnus faux, inscrits sur le registre de l'an 3. Le maire est compromis dans cette affaire et Dufay, l'ancien agent, est traduit devant le tribunal.
Il en est de même de Jean Baptiste Lucas, l'ex agent d'Hallines (canton d'Esquerdes) qui en nivôse an 10 est arrêté et accusé de plusieurs falsifications d'actes de mariage, notamment celui du conscrit Huchette.
A Wisques l'agent municipal Marie Louis Degouy est suspecté par l'administration centrale d'avoir fait un faux acte de mariage entre Pierre Joseph Bellenguez, conscrit de Remilly, 22 ans, et Marie Jeanne Dufay, de Wisques, âgée de 57 ans ; l'acte de mariage porte la date du 15 frimaire an 6.
Le 6 pluviôse an 10, un jury spécial réuni à Saint Omer déclare que « il n'y a pas lieu » contre Jean Baptiste Dufay, ex agent de Westbécourt, Jean Baptiste Lucas, ex agent d'Hallines, et Jacques Louis Huchette, cultivateur à Wizernes. A cette occasion Hacot, le commissaire du Directoire auprès du tribunal criminel, fait part au préfet Poitevin Maissemy de réflexions un peu amères :
« Il est donc évident, citoyen Préfet, que partout règne le même esprit, la même insouciance. Au surplus, comment se flatter que des jurés, la plupart pris dans des campagnes, dépourvus de lumières et intéressés soit directement, soit indirectement au sort des réquisitionnaires et conscrits, auront assez de caractère et d'élévation dans l'âme pour se mettre au dessus des préjugés vulgaires et ne voir que le bien publie ? Non, citoyen Préfet, je vous le dis et j'en suis convaincu, il n'y a rien à attendre de jurés jusqu'après leur nouvelle organisation. Salut et fraternité. HAGOT »
RÉGION DE SAINT POL.
On découvre aussi quelques falsificateurs dans l'ancien dis¬trict de Saint Pol. A Blangerval (canton de Framecourt) petite commune de 150, habitants (3713is) où normalement avaient lieu un ou deux mariages par an et parfois aucun, l'ancien agent Philippe Ranson avait trouvé vierge en l'an 7 le registre des mariages de l'an 4. Il en avait profité pour y inscrire dix sept mariages de jeunes gens dont douze étaient devenus les époux de femmes de 46 à 64 ans. La ficelle, un peu grosse, est découverte en frimaire an 9 et Ranson est prévenu de faux le 3 nivôse suivant (38). Décousu, garçon de labour à Blangerval, Passepont, percepteur, Lieppe sont également compromis. A Monchel, l'agent Legrand a marié trois conscrits dont deux avec des épouses de 66 et 77 ans et a transcrit les actes sur le registre de l'an 5.
Dans le canton voisin de Frévent l'ex agent de Bouret, Pierre Francois Desjardins est poursuivi pour avoir consigné en sa qualité d'officier publie sur le registre de l'état civil le prétendu mariage du réquisitionnaire Pierre Lieppe, cultivateur à Beaudricourt. Il est écroué à la maison de justice à la fin de brumaire an 10.
Enfin, Jean Martin Lefebvre, agent de Sars le Bois (canton de Magnicourt sur Canche) est prévenu de faux dans l'exercice de ses fonctions : des altérations et des falsifications du double registre aux actes de mariages de sa commune pour l'an 5, sont découvertes.
La découverte de tous ces faux mariages donne lieu bien souvent à des arrestations, comme nous venons de le voir ; mais parfois des déserteurs arrêtés profitent de la circonstance pour régulariser une situation fausse. Lefebvre, de Polincove, arrêté par la gendarmerie, demande « qu'il lui soit permis de se marier au premier jour de décade, attendu que vivant depuis deux ans avec la citoyenne Lamant il en a un enfant et qu'elle est encore enceinte ». La municipalité de Tournehem acquiesce.
Après la loi d'amnistie du 14 messidor an 7, deux jeunes gens de Zutkerque, se repentant de leur désertion, demandent à l'administration du canton d'Audruicq un ordre de route « pour combattre les ennemis de notre gouvernement avec nos autres frères d'armes » ; mais, ajoutent ils, ils demandent à se marier avant de partir « pour rendre des enfans légitimes et le sort plus agréable à des filles que nous avons abusé de leur bonté ». L'administration ne peut évidemment s'opposer à un désir aussi louable ; mais les deux citoyens devront se tenir « toujours prêts à marcher au premier ordre... et à deffaut d'obéissance il sera mis chez les femmes qu'ils doivent épouser une garnison suffisante pour les y contraindre ».
Il est assez curieux de constater que, dans le Pas de Calais, l'industrie des faux mariages s'est exercée à peu près exclusive¬ment dans l'ouest du département et particulièrement dans la région audomaroise. Il y a là une véritable épidémie de fraudes, difficilement explicable, tout au moins pour le Haut Boulonnais. Pour la région de Saint Omer on s'en étonnera peut être moins, car pendant toute la Révolution les cas de fabrication de fausse monnaie métallique, de faux assignats, de faux actes d'écritures publiques y sont courants ; les archives des tribunaux en témoignent. La falsification est sans doute entrée dans les moeurs, prenant facilement et indifféremment diverses formes de manifestations. L'usage de faux s'y maintiendra durant de longues années sous le Premier Empire, surtout lorsque le brigandage, particulièrement florissant dans cette région sous le Directoire, sera peu à peu muselé par le tribunal spécial sans jury créé par Bonaparte, mais prendra alors une forme plus sournoise.
Les complicités.
Lorsqu'après le refus des pièces présentées et jugées fausses les réfractaires ne partent pas, des garnisaires sont placés chez leurs parents ; mais également l'affaire a son épilogue devant les tribunaux, trop souvent indulgents.
Dans le registre d'écrou de la prison des Annonciades à Boulogne, on relève les noms de :
François Hollingue, 50 ans, ex agent de Crémarest. Prévenu le 9 frimaire an 8 de faux en écritures authentiques et publiques dans l'exercice de ses fonctions : il a falsifié et altéré les dates de différents actes de mariage. Mais le jury d'arrondissement déclare le 12 pluviôse qu« il n'y a pas lieu à accusation ».
Pierre Delattre, 25 ans, de Saint Martin, est accusé le 21 frimaire an 8, de complicité avec le précédent. Il est écroué le 30 nivôse, mis en liberté le 12 pluviôse. Etienne Gloriant, journalier et agent de Questrecques, est accusé de falsification et d'altération de dates de différents actes de mariage sur les registres. Il est arrêté le 30 frimaire an 8.
Dans la prison du tribunal criminel, à Saint Omer, se trouvent Danel et consors, compromis dans l'affaire de Campagne lez Hesdin, ainsi que Dupont, de Roussent.
Dans la maison d'arrêt de la même ville sont écroués le 17 prairial an 7, Louis Joseph Fropot, Alexandre Faine, Marc¬Hubert Delpouve, Pierre Boucher, Antoine Joseph Delebelle, Pierre Antoine Dubois, François Dubois, tous de Wavrans sur¬ l'Aa, prévenus d'avoir fait usage de pièces authentiques et publi¬ques qu'ils savaient fausses. Quatre jours plus tard viennent les rejoindre pour le même délit Eustache Delpouve, de Wavans, Antoine Lucas et Placide Colleret, de Wismes.
Dans la prison du Bon Pasteur de Saint Omer :
Augustin Vieillard, marchand à Bléquin, est prévenu d'avoir, en sa qualité d'agent municipal dans le temps, fait des actes de mariage argués de faux. Il est arrêté le 30 fructidor an 7, mais libéré le 16 vendémiaire an 8.
Antoine Gouvelard, huissier du juge de paix du canton de Seninghem, cabaretier, Pierre Nicolas Evrard, ménager, Louis Couvelard père, ménager, Ambroise Gavois, tisserand, tous domiciliés à Bouvelinghem sont prévenus d'être auteurs ou complices de faux en écritures authentiques et publiques en signant comme témoins d'actes de mariage antidatés, falsifiés, en faveur de réquisitionnaires et conscrits.
Dans la prison de Montreuil on voit en l'an 8 Charles Francois Boyaval, d'Aix en Issart, « par suspicion de faux de son acte le mariage ».
En frimaire an 8, plusieurs administrateurs municipaux du canton de Licques sont prévenus de faux et d'altérations de registres aux actes de mariages.
Il aurait été intéressant de pouvoir évaluer exactement l'importance des faux commis dans l'intention de faire échapper les jeunes gens à la conscription. Une soixantaine de cas particuliers ont été évoqués précédemment ; ils ne sont qu'une faible proportion de ceux que l'on entrevoit, car dans les documents concernant notamment les cantons de l'ouest du département il est constamment question, en sus de faits précis, de plusieurs faux commis, comme dans les cantons de Neuville, de Condette, de Tournehem de Wisines, etc., ou même de totalité comme dans le canton de Seninghem ; le général Ferrand évalue à « vingt cinq réquisitionnaires ou conscrits » du seul canton d'Henneveux les suspects de faux mariage ; le sous préfet de Boulogne parle de quelques centaines de faux extraits de mariage produits dans son arrondissement etc. Ces données ne sont que des ordres de grandeur, mais trop vagues pour permettre de dresser une statistique valable.
Par contre, on peut avoir une vue plus nette des tentatives ou du moins des désirs des jeunes gens d'échapper à la conscription. L'on assiste, dans les campagnes, où en temps normal les candidats au mariage attendaient d'avoir largement dépassé la trentaine pour abandonner le célibat, à de nombreuses unions, régulières celles là et non plus frauduleuses, de garçons de moins de vingt cinq ans et surtout de dix huit à vingt. Ils espèrent sans doute voir un jour modifiée la date du 23 nivôse an 6 en deçà de laquelle aucune alliance n'est motif d'exemption de service, militaire, et prennent leurs précautions. Si le procédé est inefficace, son développement à partir de l'hiver de l'an 7 est un indice à peu près certain de cet espoir.
Un second indice qui confirme le précédent est fourni par quelques mariages anormaux, quoique réguliers. C'est toujours la pénurie de jeunes filles, très demandées depuis la conscription, qui oblige certains jeunes gens à reculer la « limite d'âge » de leurs futures épouses et les fait s'unir à des femmes pouvant être leurs aïeules. Il y a en vérité peu de ces mariages en l'an 7, cinq seulement dans les cantons que nous avons étudiés ; mais en l'an 8, sur les treize que l'on constate, dix ont lieu dans le seul canton de Framecourt par des jeunes gens de dix huit à vingt ans, et tous dans le même mois (du 20 thermidor au 20 fructidor), qui semblent le résultat d'une panique spéciale.