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> DUPLENNE, Rebreuviette et Estrée-Wamin
fletho
posté 13/04/2020 à 09:16
Message #1


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Bonjour,

Une affaire de sorcellerie et divination dans la Haute Vallée de la Canche :


COURRIER DES TRIBUNAUX
N° 885.
Dimanche 20 septembre 1829.

TRIBUNAL CORRECTIONNEL de SAINT POL.
Présidence de M. Genelle, audience du 12 septembre,

Le grand sorcier de Rebreuviette.

Le prévenu déclare se nommer Jean Marie DUPLENNE et être âgé de cinquante neuf ans. Il est célibataire, et habite seul avec une servante la commune de Rebreuviette, pays boisé et éloigné des villes.
Son costume est celui d’un campagnard aisé. Il est d’une taille élevée. Le sommet de sa tête est chauve ; une mèche de cheveux lui reste sur le front. Il a un air d’importance et sa figure large et colorée, où il semble se peindre l’ironie, et qui reste impassible pendant les débats, paraît pouvoir devenir imposante et même terrible dans certaines circonstances.
Ses yeux, qu’il tient constamment levés et qui font trembler les témoins, ont la vivacité et la malice de ceux avec lesquels on représente l’ange déchu dont il se prétend l’inspiré.

M. d’Herbingen, substitut, expose les faits, qui excitent plus d’une fois l’hilarité de l’auditoire. Selon ce magistrat, le prévenu ne se serait pas fié à des actes de magie pour se défendre devant le tribunal. Outre le choix d’un avocat spirituel, il aurait, depuis les poursuites, fait des démarches coupables auprès des personnes de la crédulité desquelles il avait abusé, et dont il est encore la terreur. Le ministère public déclare qu’il a du faire citer quelques témoins plus éclairés de chaque commune, qui viendront déposer des faits que leur auront confiés les victimes de DUPLENNE, dans le cas où ces victimes resteraient muettes devant la justice. Il finit enfin par adjurer les témoins, au nom de la religions, de la société et de la connaissance, de dévoiler tous les faits qui sont à leur connaissance, et de dire la vérité tout entière.

Vingt témoins des communes voisines de celle du prévenu, et même du département de la Somme (Picardie), sont ensuite entendus. Voici les faits qu’ils révèlent :

-Prudent LABITTE, ménager à Bonières (lire Bonnières), déclare que ce fut en 1827 que DUPLENNE arriva pour guérir sa fille d’une maladie sui résistait à tous les remèdes. DUPLENNE, s’assura que c’était un mal donné pour cinq ans. Il exigea 35 fr. pour le grand bureau du diable, puis il ordonna de prendre le cœur d’un mouton qui n’avait pas été mangé, et de le piquer avec des alènes qui n’auraient jamais servi. Il ajouta que la sorcière souffrirait tant de chaque piqûre, qu’elle serait forcée d’abandonner le corps de la jeune fille. L’imprudent Prudent exécuta de point en point ce qu’on lui prescrivait, et perdit sa fille quelques mois après.
-Adélaïde ADAM, femme HUMIERE, ne parle qu’en tremblant, et paraît se croire entre le diable et Dieu. Elle déclare qu’elle est allée consulter l’homme sage, pour sa vache malade ; DUPLENNE arrivé chez elle, lui a dit qu’elle et sa vache étaient gagnées du sort, que c’était une personne proche, sa belle mère, qui le lui avait donné ; il fallait 15 fr. 50 cm, dont il n’y avait que 20 sous pour lui ; que le reste était pour le diable, et qu’il serait deux nuits à les lui apporter. Il avait fait venir ensuite un pot d’eau de vie, en avait bu deux grands coups, trempé son doigt dans le reste, et s’était mis à décrire des signes magiques sur une table. Après avoir saigné la vache, déclarant que le sort était parti. La vache fut en effet guérie ; mais le témoin tremblait et était malade chaque fois que sa belle-mère venait et l’approchait.
-François DERÔME âgé de 21 ans, dépose que DUPLENNE, après lui a voir fait donner 20 fr. lui a prescrit de réciter un de profundis et donné un os de mort enveloppé dans du linge avec recommandation de le tenir sur son bras, entre chaire et chemise. Ce talisman devait l’empêcher de tomber à la conscription. Le tirage pour le recrutement arrive : DERÔME s’avance avec confiance, met le bras garni de l’os de mort dans l’urne, et retire…n° 39 ; le 60e à été appelé.
-Nicolas ENGRAND dépose que DUPLENNE lui a extorqué des sommes de la même manière en lui faisant croire qu’une de ses voisines, Robertine LEMOINE, avait jeté un sort sur lui. De là, source continuelle de rixes entre lui et cette femme : elles n’ont cessé qu’à la mort de cette dernière. ENGRAND est persuadé que le terme du pacte de cette femme avec le diable était arrivé.
La fille de la prétendue sorcière est ensuite entendue. Elle déclare, les larmes aux yeux, que DUPLENNE est en effet parvenu à faire passer Robertine LEMAIRE pour avoir un pacte avec Satan. Sa mère en a été si affectée, que son sang s’est décomposé, et qu’elle en est morte de douleur. (mouvement pénible dans l’auditoire)
-le sieur DELORY, officier de santé à Etrée Wamin, rapporte les faits suivants : la fille BERTOUT était enceinte ; DUPLENNE s’en était aperçu : il vient la trouver déclare qu’on lui a communiqué un sort, que le grand être à fait des siennes, mais qu’il y a un moyen de faire tout disparaître. Il lui, prescrit en conséquence des boissons échauffantes, qui heureusement n’ont pas été assez fortes pour la débarrasser de son fruit. Ces circonstances ont été racontés par elle au témoin en présence du maire et curé.
-La fille BERTOUT, âgée de 30 ans, s’avance avec un air niais ; elle regarde le sorcier en venant déposer, devient pâle et tremblante, et ne veut rien dire. On lui demande si elle a peur des sorciers, si elle y croit. Elle répond seulement que c’est possible.
-ROUSSEL avait sa femme malade ; DUPLENNE assure que c’est un mal donné par une personne de son voisinage, se fait remettre 63 fr., dit qu’il sera deux jours à les porter au grand bureau, où tous les sorciers reçoivent ses ordres, parce qu’il est leur grand-maître ; il prescrit de couper un crapaud en deux et de le donner à la malade, qui aura soin d’en porter la moitié dans chaque poche. Cela n’a pas empêché cette malheureuse de payer quelques temps après son tribu à la nature.
-Siméon CORNET avait déjà donné 24 fr, pour faire désensorceler sa vache malade, et l’avait cependant perdue. Il a une chevelure touffue qu’il porte assez longue, suivant la coutume du pays ; il était tourmenté de cette incommodité commune, dit-on, à la mal propreté espagnole. DUPLENNE prétendit y reconnaître la présence d’un sort donné, et CORNET paya une somme assez forte sans obtenir de guérison.
-la femme NORTIER ne pouvait avoir du beurre de sa vache : DUPLENNE, consulté, exigea 15 fr. qui lui furent comptés après qu’il eut fait semblant de lire dans un livres, et déclaré la vache ensorcelée. Il alla s’enfermer ensuite seul dans l’étable avec la vache, défendit à la femme de lui donner d’autres herbes que celle qu’elle couperait elle-même, fit brûler l’ancien lien, et lui en fit mettre un neuf. Depuis ce temps, la femme NORTIER assure au tribunal avoir obtenu le plus beau beurre du pays. Aussi ne porte-t-elle aucune plainte contre l’homme sage.
-BRASSEUR, vieux berger picard, vient conter d’un ton naïf une dernière mystification que lui a fait subir DUPLENNE. Son troupeau était atteint d’une épizootie, peu de mouton avaient survécu ; DUPLENNE se présente, entre dans la bergerie, s’y promène à grands pas, paraissant réciter des paroles magiques, chasse les mouton dans la cour, s’enferme seul dans la bergerie, où une jeune fille, qui l’a épié, le voit toucher à tous les poteaux. Il quitte la maison, après s’être fait donner une somme de 35 fr. assurant que le sort est parti ; et le pauvre Guillot ?, a encore à déplorer, les jours suivants, la mort de quelques robins moutons.

-« Cette cause, dit M. l’avocat du roi, semble être d’une époque antérieure de cinq siècles à celui dans lequel nous vivons. Cet homme est cependant notre contemporain. Qu’il se rassure donc ; aujourd’hui plus de bûcher pour les sorciers. L’agent du diable, le prétendu possédé, n’est plus simplement qu’un escroc. »

Après avoir rappelé brièvement les tours et les parades de l’homme sage, le ministère public déplore la crédulité des habitants des campagnes, leur défaut d’instruction et par la suite celui des lumières ; il fait des vœux pour qu’un pays si riche et si favorisé de la nature devienne aussi l’un des plus éclairés. Il requiert contre le prévenu, qui a si cruellement abusé de la confiance et des peines de quelques malheureux, l’application de l’article 405 du Code pénal, 3 années d’emprisonnement et 500 francs d’amende.

Me FAGUET, défenseur de DUPLENNE, a tiré d’une cause bien mauvaise tout le parti qu’y pouvait trouver un homme d’esprit ; il a fait valoir la prescription à l’égard de certains faits. Son client a quelques connaissances comme artiste : il s’en servait pour obliger ; et s’il a eu recours à certaines préparations, c’est qu’il avait reconnu qu’un imagination rassurée prévient et sauve beaucoup de maladie, avec bien plus de succès que les ordonnances de la docte faculté.

La tribunal a condamné DUPLENNE à deux années d’emprisonnement et à 100 francs d’amende.

DUPLENNE disait d’un air grave, en sortant, à la foule ébahie qui se pressait autour de lui, qu’il s’était prédit auparavant cette condamnation.


Transcription Francis Letho du clos-2009-

Note supp. :
Le dénombrement de 1820 mentionne à Rebreuviette un seul porteur du nom de DUPLENNE. Dans le même dénombrement, où y trouvent 3 porteurs de ce nom au village de Berlencourt le Cauroy.
*
Fiche familiale DUPLENNE-BAYART de Berlencourt-le-Cauroy nous donne :

DUPLENNE Jean Thomas X Marie Anne Joseph BAYART
le 5 février 1770 à Berlencourt
P. Louis DUPLENNE
M. † Marie HEBERT, † audit Bingart.
Lui dit âgé de 28 ans et md forain, de Muneville le Bingart, diocèse de Coutance, et elle, de 28 ans.
Et aussi :
† de Marianne Joseph BAYART le 3 mars 1813 à Berlencourt, dite âgée de 71 ans, femme de Jean Thomas DUPLENNE, lui âgé de 74 ans.
Info de Mme Carin-2005-
Enfant :
-Jean Marie Joseph ° le 01 02 1771 & X 29 N.N. 1799 avec Marie Anne MONCHIET en l’église de Etrée Wamin suivant son acte de mariage de l’église.
-Amant Joseph ° le 22 03 1774.
-Henry Constant ° le 11 02 1776 & † le 16 06 1779, 3 ans ½.

D’après le dénombrement de Berlencourt en 185 ??
Famille N° 28
DUPLENNE Jean Baptiste Joseph, 53 ans, chef de ménage,
CARPENTIER Fideline, 42 ans, sa femme.

Voir aussi registre des mariages reconstitués de l’église de Etrée Wamin :

DUPLAINNE Jean Marie X Marie Anne MONCHIET
Le 29 N.N. 1799 à Etrée Wamin.
P. Jean Thomas DUPLAINE
M. Marie Anne Joseph BAYART
Lui, de Berlencourt, 29 ans, ss,
Et elle :
P. † Jean François MONCHIET,
M. Marie Joseph DEBRET, encore vivante,
Elle,de Brouilly secours de Rebreuviette, âgée de 32 ans ans, ss,
Acte signé : DUPLEINNE.
Curé : A. Pruvost .

*
Acte de décès de Marie Anne Josephe MONCHIET, registre de l’église :
L’an mil huit cent vingt six, le troisième jour du mois de mars, le corps de marie Anne Josephe MONCHIET ; âgée de 59 ans, morte l veille épouse de Jean marie DUPLEME !, administré des sacrements de l’église, a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse par moi desservant soussigné en présence de Jean marie DUPLEME, son époux, et d’Augustin DUPOND, instituteur, qui ont signé cet acte avec nous de ce interpellé ;
Signé : Dupleine, A, Dupond, et h. j. Desmetz, dess. Cette succursalle.
*
Donc, notre devin Jean Marie DUPLENNE est né à Berlencourt le 1 février 1771, et ce qui explique ses qualités de « mage et devin », c’est que son père était marchand forain (ça aide pour la baratin !)
*
Concernant les témoins, « Adélaïde ADAM, femme HUMIERE » :
Il pourrait s’agir de Adélaïde HUMIERE née le 16 nivôse An 5 à Houvin, fille de HUMIERES Jean Baptiste, valet de charrue, de Houvin X Marie Joseph DALIEZ ou DALLIEZ.
*
Concernant la petite fille de Prudent LABITTE qui serait décédée vers 1827, voici le relevé de Bonnières :
Bonnières Prudent LABITTE x Marie Anne Josèphe SACLEUX ont eu 3 filles :
Marie Anne Josèphe ° 02.02.1820 Bonnières + 18.02.1826 Bonnières.
Marie Anne Josèphe ° 03.06.1828 Bonnières + 15.07.1832 Bonnières.
Séraphine Prudence ° 04.03.1830 Bonnières x Charlemagne Constant ANSELIN dont 5 enfants (naissances comprises entre 1857 et 1873).

Il semble donc qu’il s’agit de Marie Anne Joseph décédée en 1826.


Bonne lecture,

Francis

Ce message a été modifié par dlarchet - 15/04/2020 à 22:33.
Raison de l'édition : rectificationdu titre conformément aux consignes du forum (à relire SVP !)
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pflahaut
posté 13/04/2020 à 19:44
Message #2


Confirmé
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Bonjour à toutes et à tous.

MERCI tout particulier à Francis pour la transcription de cette affaire.
Le document numérisé est maintenant disponible en ligne sur bnf, et j'avais manqué le message donné par Joël VASSEUR en 2017.

Je confirme pour Prudent LABITTE x1819 Marie Anne SACLEUX (soeur de Joachim SACLEUX), il perd également sa seconde fille, puis sa belle mère CARBONNET coup sur coup en 1832 Bonnières.

J'ai maintenant une toute autre lecture des actes Bonnières concernant mes ancêtres, ou Prudent et Joachim (simples voisins sans lien famillial) apparaissent comme seuls témoins (naissances/décès), et je trouvais celà louche !!!

Ils agissaient sans doute en protection (tout comme l'officier de Santé de Bonnières déclarant) et seuls courageux pour aller poser témoignage,
Les "troubles" vont de 1825 à 1836 à Bonnières pour ma branche.

Question : A t'on des nouvelles du condamné (prison?, sortie?, décès, ...)

Cordialement,
Patrice

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fletho
posté 15/04/2020 à 16:14
Message #3


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Bonjour,

Oui, on sait où il est décédé : à Loos, canton de Haubourdin le 07 10 1831 ! probablement en prison !

Francis,




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fcaron
posté 15/04/2020 à 17:41
Message #4


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Citation (fletho @ 13/04/2020 à 09:16) *
Bonjour,

Une affaire de sorcellerie et divination dans la Haute Vallée de la Canche :

COURRIER DES TRIBUNAUX
N° 885.
Dimanche 20 septembre 1829.

Francis


L'affaire est également détaillée dans la Gazette des tribunaux de la veille, 19 septembre 1829.
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